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Policier : une profession basée sur la science?

Peter Neyroud, Institut de criminologie, Université de Cambridge, Royaume-Uni, membre du comité d’experts sur l’avenir des modèles canadiens de maintien de l’ordre

Les services de maintien de l’ordre des pays développés sont passablement malmenés depuis un certain temps. Que l’on pense aux émeutes de Londres, au Royaume‑Uni, aux émeutes de Ferguson, au Missouri, ou aux manifestations en marge du sommet du G-20, à Toronto, les méthodes policières et les chefs policiers ont peut-être eu trop tendance à faire les manchettes pour les mauvaises raisons. Derrière les manchettes, les services de maintien de l’ordre coûtent de plus en plus cher au moment où les gouvernements cherchent à réduire leurs dépenses, ce qui soulève des questions quant à leur efficacité, considérant notamment la baisse du taux de criminalité et l’évolution des types de crime.

Au sein du débat international entourant les causes de la baisse du taux de criminalité, peu d’analyses ont attribué aux corps policiers la parenté principale de cette baisse. Comme un nouveau rapport du Conseil des académies canadiennes (CAC) l’indique, les corps policiers font partie d’un réseau de la sécurité et constituent un des nombreux acteurs en cause, mais pas nécessairement le premier agent de changement.

À travers le monde, les services policiers tiennent à peine tête à la cybercriminalité croissante, emprisonnés qu’ils sont dans un modèle géographique de maintien de l’ordre limité par les frontières physiques et les compétences juridiques nationales. Ils ont aussi de la difficulté à lutter contre des crimes tels que le trafic de personnes, l’exploitation sexuelle des enfants et la violence familiale, lesquels transcendent les frontières des pays, des agences ou de l’espace public et privé. Cette crise existentielle du modèle de maintien de l’ordre menace directement la légitimité des institutions policières.

Les solutions sont trop souvent vues comme des réorganisations structurelles plutôt que comme des réformes fondamentales. Une des vérités universelles concernant les services policiers est qu’approximativement 80 % du budget est consacré aux salaires du personnel. Les plus importantes réformes doivent en conséquence porter sur l’amélioration des compétences, du rendement ainsi que du professionnalisme des policiers et de leur personnel de soutien. Pour cela, il faut repenser en profondeur les façons dont les policiers sont recrutés, formés et continuent de développer leurs compétences. Dans le monde anglo-saxon, la formation policière est demeurée obstinément enfermée dans un modèle largement défini au XIXe siècle, alors que la loi, les procédures et la transmission de l’expérience étaient privilégiés par rapport aux pratiques basées sur les données probantes. Au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada, les policiers sont entraînés en priorité à suivre les procédures plutôt qu’à utiliser les meilleures techniques scientifiques policières.

Par conséquent, trop de forces policières appliquent encore un modèle professionnel fondé sur les patrouilles aléatoires, l’intervention rapide et les enquêtes réactives, lesquelles ont largement été discrédités par la recherche et tendent à occasionner des taux élevés d’arrêts et de fouilles, et misant excessivement sur des données discréditées sur la criminalité pour mesurer son taux de réussite. Toutefois, la somme croissante de données policières scientifiques semble indiquer que les services de maintien de l’ordre devraient plutôt adopter un nouveau professionnalisme policier axé sur les interventions ciblées, la résolution de problèmes, la participation du public, les partenariats ainsi que les stratégies visant à promouvoir la légitimité. Cette approche est bien étayée dans le dernier rapport du CAC, Le maintien de l’ordre au Canada au XXIe siècle.

Au Royaume-Uni, les corps policiers ont reconnu qu’ils devaient prendre des mesures importantes en ce sens. Les budgets ont déjà été réduits de 20 % et les forces policières se préparent à subir d’autres coupes semblables au cours des cinq prochaines années. Alors que ce carnage budgétaire sévit, un nouveau corps policier professionnel, le National College of Policing, vient d’être créé. Le gouvernement a financé cette institution en vue d’en faire un centre de recherche sur l’efficacité en matière de réduction de la criminalité et le College scrute les recherches réalisées de par le monde pour trouver les meilleures données sur lesquelles appuyer la formation policière britannique. Les nouvelles recrues doivent acquérir les compétences requises avant d’exercer et la plupart le font par le biais de programmes universitaires. De nouvelles formations sont en voie d’être définies pour les cadres et les dirigeants, le but étant de faire évoluer le métier vers une profession agréée, fondée sur un système de connaissances structuré.

Il s’agirait d’une transformation majeure des services policiers et une évolution capitale pour nos sociétés. La police est un des symboles importants de notre démocratie, que l’on pense seulement au bobby britannique ou à la police montée canadienne. En 1829, sir Robert Peel avait reconnu qu’un moment charnière avait été atteint et que le volontarisme du XVIIIe siècle n’était plus compatible avec l’industrialisme du XIXe siècle. De même, nous devons reconnaître que les services policiers du XXIe siècle doivent se transformer en combinant les meilleures données et connaissances au modèle de M. Peel en vue d’inventer une nouvelle police professionnelle capable de relever les défis actuels et ceux de demain.