La découverte et la mise au point des antimicrobiens ― des produits chimiques qui inhibent la croissance des microorganismes ou qui les tuent ― ont été saluées comme constituant l’une des plus importantes réalisations de la société. Les antimicrobiens ont transformé la médecine moderne, les soins vétérinaires et les pratiques agricoles. Grâce à leur introduction, des infections précédemment incurables ont pu être traitées et des interventions médicales aujourd’hui courantes, telles que la greffe d’organes et la chimiothérapie, ont pu voir le jour, tout comme certaines chirurgies telles que les remplacements d’articulations et les césariennes.
Or, même Alexander Fleming, celui qui avait découvert la pénicilline en 1928, avait prédit que la résistance aux antimicrobiens (RAM) était inévitable. Les pathogènes développent naturellement une résistance aux antimicrobiens, mais ce processus est exacerbé par l’utilisation abusive de ces médicaments. Comme Fleming l’avait prévu, l’efficacité des antimicrobiens a diminué avec le temps. Des rapports récents indiquent que le nombre absolu d’infections dues à la résistance aux antimicrobiens augmente. Cette augmentation est attribuable à deux causes : l’évolution de la résistance des pathogènes aux médicaments fréquemment utilisés, laquelle se propage entre différents pathogènes, et le développement insuffisant de nouveaux antimicrobiens. L’OCDE estime que 50 % des infections qui surviennent dans les pays du G7 résistent aux antimicrobiens couramment utilisés et que le taux de mortalité et les risques de complications sont deux à trois fois plus élevés chez les patients qui sont atteints d’infections résistantes. Dans le monde, la RAM cause plus de 700 000 décès par année.
La RAM aura des incidences importantes sur notre mode de vie, sur la façon dont notre santé est gérée et sur notre qualité de vie en général. À mesure qu’augmenteront les taux de résistance, les infections bactériennes deviendront plus difficiles à traiter et les chirurgies et les interventions courantes auxquelles la médecine nous a habitués et desquelles nous dépendons pourraient devenir trop risquées pour être entreprises. Les patients cancéreux, ceux dont le système immunitaire est affaibli, les personnes âgées et les très jeunes enfants deviendront particulièrement vulnérables aux infections et accuseront des taux de morbidité et de mortalité plus élevés.
La RAM aura des répercussions économiques, puisque les infections résistantes mettront des travailleurs hors d’état de travailler, diminuant la population active et réduisant au bout du compte le PIB. Des chercheurs estiment que la RAM pourrait faire chuter le PIB mondial d’approximativement 3,5 % d’ici à 2050 à mesure qu’augmenteront les taux de morbidité et de mortalité.
Bien que ces projections soient troublantes en elles-mêmes, elles ne rendent peut-être pas compte de toute l’ampleur que les incidences sociales et économiques pourraient avoir dans un pays donné, et encore moins dans le monde. En raison du manque de surveillance des infections résistantes, il est difficile d’estimer les incidences actuelles de la RAM. Au Canada, d’autres défis se posent quant au suivi et à la gestion qui sont effectués de la RAM, parce que la surveillance et la prestation des soins de santé sont partagées entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Conscient du large éventail de répercussions que cette menace croissante pourrait avoir, le gouvernement fédéral a demandé au CAC d’évaluer les incidences socioéconomiques de la RAM. Pour traiter cette question, le CAC a mis sur pied un comité de 13 experts canadiens et étrangers de diverses disciplines, lequel sera présidé par B. Brett Finlay, O.C., O.B.C., MSRC, MACSS, professeur distingué titulaire de la chaire Peter Wall à l’Université de la Colombie-Britannique.
Le comité d’experts examinera les données disponibles sur la question afin d’évaluer comment la résistance aux antimicrobiens peut influencer l’économie canadienne, les effets qu’elle peut avoir sur les différents groupes sociaux et de patients ainsi que les changements que la population canadienne pourrait globalement subir sur les plans de la prestation des soins de santé et de la qualité de vie. Le comité d’experts travaille actuellement en vue de mettre au point un modèle qui simulera l’effet qu’aura avoir la RAM sur le PIB canadien en modélisant les changements qui surviendront dans la population active.
Comme pour toute évaluation du CAC, ce rapport vise à évaluer les données probantes disponibles afin d’éclairer les décisions dans ce domaine. Nous espérons que notre travail sur la RAM fournira une base solide aux discussions politiques et à la conversation publique sur ce sujet. En comprenant les incidences potentielles de la RAM, le Canada sera mieux préparé à affronter ses conséquences.
Restez à l’affût : ce rapport du CAC paraîtra en 2019. Vous pouvez commander à l’avance un exemplaire du rapport sur notre site Web.
Eric M. Meslin, Ph.D., MACSS
Président-directeur général, Conseil des académies canadiennes